
Retour sur... le Débats & Controverses "The Great Reset" ?"
Le 19 juin dernier, le GIS Euro-Lab organisait une nouvelle édition de son séminaire Débats & Controverses dédiée au rapport "The Great Reset", fruit d'une coopération transnationale de la droite et de l'extrême-droite. La vidéo du débat est disponible en replay.
Une séance animée par Antoine Vauchez, Directeur de recherche en science politique au CNRS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CESSP
Avec la participation de :
Valentin Behr, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CESSP
Laure Neumayer, Professeure de science politique à l’Université de Picardie Jules Verne et chercheure au CURAPP-EES
Sébastien Platon, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux
Co-porté par le Mathias Corvinus Collegium (Hongrie), le groupe de réflexion Ordio Iuris (Pologne) et la fondation Heritage (Etats-Unis), le rapport a été présenté en mars 2025 à Washington. Ses auteurs s'inscrivent dans le cadre d'une internationale conservatrice large, marquée par une connexion transatlantique et de faibles signaux d'inscription dans les réseaux du Kremlin. Leur propos illustre tout d'abord la revendication d'une nouvelle identité centre-européenne, qui viserait à réparer l'injustice liée à la transition post-communiste et au processus d'adhésion à l'Union européenne, tout en reflétant une fracture culturelle Est-Ouest. Dans la perspective de son élargissement à l'Ukraine, ils revendiquent des possibilités de révision de l'Union européenne avec une volonté de rééquilibrage, témoignage du changement de stratégie des extrêmes-droites européennes post-Brexit et de l'évolution du discours eurosceptique centre-européen.
Prenant appui sur une bibliographie issue des études européennes, "The Great Reset" affirme le diagnostic d'un déficit démocratique de l'UE et d'une perte de souveraineté à travers une inversion accusatoire à destination de l'Union qui, selon les auteurs du rapport, bafouerait le droit et les normes démocratiques. Alors que, la souveraineté nationale aurait été dévoyée par des instruments nationaux hors de contrôle à visée totalitaire, le texte prône une remise des États membres au centre du jeu européen en concentrant les pouvoirs au sein du Conseil, vis-à-vis duquel des critiques contradictoires sont posées. Rejetant le libéralisme comme une négation de l'identité et le "danger" de la voie du multiculturalisme (à travers la mise en scène d'une guerre culturelle Est-Ouest), les auteurs du rapport affirment l'existence d'un conflit autour du respect de l’État de droit et, à leurs yeux, d'un abus de pouvoir des juges, ciblant particulièrement la Cour de Justice de l'Union européenne.
Les intervenant·es soulignent les erreurs factuelles qui ponctuent le rapport s'agissant des bases juridiques évoquées, là où la marge d'action de l'Union est teintée d'une appréciation différenciée selon les centres d'intérêts des auteurs de "The Great Reset". Ces derniers semblent chercher à entrer dans le jeu du débat sur l'UE tout en remettant en cause des compétences européennes, écho à une tradition plus ancienne de l'euroscepticisme, tout en dénonçant l'impact du progressisme culturel (les concepts d'"Etat de droit", de "pluralité" ou encore de "protection des minorités" sont ainsi qualifiés de "nébuleux"). Ainsi, les droits et les libertés sont redéfinis au prisme de thématiques classiques du courant eurosceptique et de formulations originales, là où des travaux universitaires sont mobilisés à rebours des idées défendues par leurs auteurs respectifs. À travers les réformes proposées par les auteurs, le texte témoigne à la fois d'un retour fantasmé aux fondamentaux, d'un recyclage de dispositifs existants et d'une rénovation inédite de l'architecture institutionnelle, avec des changements de compétences, de noms et de modes de fonctionnement (rôle consultatif du Parlement, passage à l'unanimité...) et des formes de coopération à géométrie variable. Focalisés sur une suprématie juridique contraignante du Conseil européen, les auteurs semblent faire fi des conséquences (disparition du cadre juridique, absence de termes sur la politique nationale, souveraineté nationale...) et insistent sur une intégration "à la carte", à rebours du discours eurosceptique originel, là où le texte prend la forme d'une réponse aux contentieux opposant l'Union européenne à la Pologne et à la Hongrie.
Dans quelles mesures les idées du rapport de l'Institut Corvinus et de l'Ordio Iuris peuvent-elles prospérer dans le discours institutionnel européen ? Selon les intervenant·es, elles semblent pour le moment surtout circuler entre ses producteurs. Si certains événements donnent à voir des tentatives de coordination au-delà du Parlement européen (où le courant eurosceptique jouit d'une forte assise à travers la présence éclatée des groupes ECR, ESN et Patriotes pour l'Europe, plus ou moins fréquentables aux yeux de la droite gouvernementale) et du Conseil européen, il paraît toutefois irréaliste que "The Great Reset" puisse inspirer de futures réformes tant le Parlement européen pourrait être assez hostile à une telle révision et présente les moyens de s'y opposer. À rebours des tendances de révision des traités depuis la création de l'Union (plus d'intégration avec des clauses de sauvegarde), une réforme régressive serait inédite, mais le propos pourrait tout de même influencer l'éventail de critiques envers les institutions et servir de boîte à outils pour les groupes conservateurs, sans aucune alliance possible à ce stade - bien que la CJUE pourrait être l'arsenal à même de rassembler droite et extrême-droite.

Le replay de la séance est disponible sur la chaîne YouTube du GIS Euro-Lab. Le séminaire s'étant déroulé dans des conditions techniques contraintes, nous vous présentons toutes nos excuses pour la qualité de la vidéo.